Regard chrétien sur la banalisation de l'extrême droite Paul Maire

Karl Barth le grand théologien disait que le pasteur devait tenir la Bible dans une main et le journal dans l'autre. L’actualité mérite relecture puisque l’Esprit- Saint est à l’œuvre dans le monde et déborde largement les murs de nos églises.

Les élections européennes

Revenons sur les élections européennes qui ont révélé l’ampleur de la vague « Bleu marine » dans notre pays et suscité de multiples commentaires dont la banalisation du vote F.N. et l’ampleur de l’abstention. Les politologues ont souligné plusieurs causes à ce phénomène : la confusion politique née d’alternances décevantes, l’angoisse induite par le chômage, la précarité, la peur de la concurrence mondiale, tensions qui nourrissent des réflexes de rejet de l’autre, l’étranger en particulier, et de repli sur soi. Cette analyse invite à éviter de stigmatiser sans nuance tous ceux et celles qui ont donné leur voix à l’extrême droite et qui ne sont pas forcément prêts à confier le pays à cette force politique. Reste que les idées propagées par ce courant se banalisent désormais et se propagent dans les villes, les villages, les lycées, les ateliers, les quartiers et occupent de plus en plus les conversations.

Le vote des catholiques pratiquants

Le journal « La croix » a révélé que 21% des catholiques « pratiquants » ont voté pour l’extrême droite, un pourcentage inférieur à celui de l’ensemble des électeurs, mais qui n’est pas sans poser de questions.
La première concerne la manque d’esprit critique et de culture politique par rapport aux idées que la propagande de l’extrême droite véhicule. On lira à ce sujet un petit ouvrage remarquable de Pierre-Yves Bulteau, « En finir avec les idées fausses propagées par l’extrême droite », édité par les Éditions de l’atelier, avec le soutien d’un certain nombre d’organismes dont la Ligue des droits de l’homme et la J.O.C. Ce livre entend rétablir la vérité en analysant plus de 70 de ces idées reçues et les réfute une à une à partir de données solides.
La seconde question, qui nous concerne plus directement a trait au message évangélique, à l’enseignement social de l’Église et à l’action pastorale en général. Le cadre de cet article ne permettant pas de longs développements au sujet de ces trois domaines on se contentera donc d’ouvrir quelques pistes de réflexion.

L’Évangile en question

L’Évangile proclame, contre toute discrimination et repli nationaliste, une ouverture universelle en accordant la priorité à l’accueil des exclus, pauvres, malades et étrangers, tous enfants d’un même Père, message bien relayé et explicité par Paul aux Galates, 3,28 : « Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni libre, il n'y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus-Christ ». Ce message, hélas, passe difficilement dans les communautés chrétiennes. L’hebdomadaire La Vie du 7 juin 2007, suite à un sondage IFOP, (« Les valeurs qui fâchent ») soulignait il y a quelques années que 63% des catholiques pratiquants pensaient qu’il y avait en France trop d’étrangers, contre 40% des gens sans religion !

L’enseignement social de l’Eglise

L’enseignement social de l’Église est à ce sujet sans équivoque. Pour ne s’en tenir simplement à ce que nous rappelle le pape François, dans son exhortation apostolique, La Joie de l’Évangile, citons quelques-unes de ses paroles :
« Les migrants me posent un défi particulier parce que je suis le Pasteur d’une Église sans frontières qui se sent mère de tous. Par conséquent, j’exhorte les pays à une généreuse ouverture, qui, au lieu de craindre la destruction de l’identité locale, soit capable de créer de nouvelles synthèses culturelles ».
« Nous chrétiens, nous devrions accueillir avec affection et respect les immigrés de l’Islam qui arrivent dans nos pays (…) Face aux épisodes de fondamentalisme violent qui nous inquiètent, l’affection envers les vrais croyants de l’islam doit nous porter à éviter d’odieuses généralisations, parce que le véritable islam et une adéquate interprétation du Coran s’opposent à toute violence.»

Nos choix pastoraux

Il revient à la pastorale d’aider les chrétiens à mettre leurs options politiques en cohérence avec leur foi. De ce point de vue, l’abstention et les choix électoraux des catholiques pratiquants souligne les carences de notre enseignement et de notre témoignage dans la société. Ce qui ne manque pas d’inquiéter l’évêque de Rome : « Même si on note une plus grande participation de beaucoup aux ministères laïcs, cet engagement ne se reflète pas dans la pénétration des valeurs chrétiennes dans le monde social, politique et économique. Il se limite bien des fois à des tâches internes à l’Église sans un réel engagement pour la mise en œuvre de l’Évangile en vue de la transformation de la société ». Et de rappeler, après Pie XI, que « la politique tant dénigrée est une vocation noble, une des formes les plus précieuses de la charité, parce qu’elle cherche le bien commun ». Le respect de l’autonomie du temporel fait que ni le pape ni l’Église ne possèdent la clé des solutions économiques, sociales et politiques pour transformer la société. Il revient donc à chacun, selon ses connaissances, sa liberté, sa responsabilité de citoyen et sa conscience, de choisir les moyens qui lui semblent les meilleurs pour améliorer la société. Le seul critère déterminant pour le chrétien est de savoir si les moyens et les finalités préconisées sont susceptibles ou non de faire grandir l’humanité. A la lumière de ces exigences nous avons à nous demander si nos initiatives pastorales et celles des associations et mouvements qui se réfèrent au Christ se préoccupent des gens engagés dans la société : hommes politiques, syndicalistes, agents sociaux, pour leur offrir des lieux de parole, de relecture de leur action et de ressourcement spirituel. Comment la situation sociale et les événements politiques nous interpellent et nous invitent-ils à former et informer largement les gens, en particulier les jeunes et tous ceux qui sont directement concernés? Le seul mouvement de jeunes qui, sauf erreur, a mis en œuvre dans notre diocèse ce type d’initiative c’est la Jeunesse Ouvrière Chrétienne qui a organisé des rencontres-débats en invitant des hommes politiques de différentes tendances à l’occasion des élections municipales et européennes. N’oublions pas non plus, Dieu merci, les mouvements qui pratiquent la révision de vie ou la relecture et qui se soucient de mettre les événements à l’ordre du jour de leurs rencontres. Il serait également souhaitable que nos eucharisties et nos prières ne soient pas décontextualisées par rapport à l’actualité, aux situations et aux événements sociaux. Bien sûr, les prières universelles y font souvent allusion ; c’est heureux, à conditions de ne pas demander à Dieu d’agir à notre place. L’apôtre Paul nous parle peu de la Cène sinon pour évoquer ce qu’il a reçu de la tradition (1Co11,23-30) mais il s’est élevé violemment contre les inégalités qui reproduisaient, à autour du repas eucharistique les rapports sociaux du monde païens. Les uns ont faim alors que d’autres s’empiffrent ! « On doit s’examiner soi-même avant de manger de ce pain et boire à cette coupe ». Même souci chez Jacques qui critiquait les discriminations sociales qui régnaient jusque dans les assemblées chez les premiers chrétiens.

Conclusion 

Dans la situation présente nous sommes tentés de pleurer un passé révolu où les catholiques étaient majoritaires dans la société et où les Eglises avaient pignon sur rue. A nous de lire aujourd’hui, à la lumière de l’Évangile, les « signes des temps ». Ils nous invitent à sortir pour rejoindre un nouveau monde à évangéliser. Avant même notre parole c’est notre témoignage et l’écoute de l’autre, qui à l’exemple de Jésus incarné, peuvent porter la Bonne nouvelle au cœur du monde, un monde tenté par le repli sur soi, l’idolâtrie de l’argent, les murs, les barrières et les discriminations.